Les Echoués

 

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Tout au long de cette lecture j’ai souvent eu la tentation de mettre mes mains devant mes yeux, comme je le fais en regardant un film d’épouvante, pour ne plus voir toutes ces souffrances, ces horreurs, pour ne pas savoir…

Mon fils a lu ce roman avant moi et c’est lui qui a écrit cette chronique. Nous avons beaucoup discuté de ce roman qui nous a profondément marqués. C’était bien de pouvoir en parler, d’échanger.

Fiston: « Pascal Manoukian est directeur éditorial de l’agence de presse Capa et auteur. Il est aussi reporter et a couvert la plupart des grands conflits qui ont frappé le monde entre 1975 et 1995. Son livre  Les Échoués  paraît après son premier livre  Le diable au creux de la main  où il raconte les conflits qu’il a couverts pendant 20 ans.

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Les Échoués  est un roman racontant l’histoire de plusieurs migrants dans la France de 1990, on suit le déroulement d’une migration à travers différents points de vues et existences, les unes plus épouvantables et choquantes que les autres. Malgré le fait que ces péripéties se déroulent en 1990, ce récit relatant des événements passés n’a jamais été autant d’actualité.

Le roman se déroule en 1991/1992, le mur de Berlin vient de chuter, libérant son flot de population longtemps enfermée dans le bloc soviétique. La France traverse une crise économique et l’immigration est devenue un sujet politique majeur.

Ce livre raconte le voyage à travers quatre vies : celle de Virgil, jeune père de famille Moldave, haineux des communistes et de ce qu’ils ont apporté, quittant son pays pour la France  pensant y trouver le travail et le salaire qui va avec afin de pouvoir y vivre avec sa famille.

Assan et Imam, un père et sa fille fuyant la Somalie, sa barbarie, la folie de certains hommes de guerre.

Et enfin Chancal, un jeune bangalis quittant son pays pour la France afin de pouvoir nourrir sa famille restée sur place.

Le récit s’articule sur une flèche chronologique, où lorsque l’on est un immigrant, d’abord on quitte son pays. Le roman commence donc sur les différents parcours que nos héros vont suivre pour arriver en France, laissant les horreurs de leurs pays derrière eux, mais en affrontant de nouvelles.

Il n’y a pas d’immigration sans passeurs, qui sont un engrenage essentiel de ce mécanisme. Ils font voyager les migrants de manières inhumaines et périlleuses, à des prix exorbitants. Le danger permanent est une constante du voyage« vingt fois il avait sauvé sa fille du viol en la traitant comme un garçon quand les trafiquants venaient se servir en filles dans le convoi -… Vingt fois il l’avait empêchée de tomber d’un camion et de pourrir en plein désert en l’attachant à lui. ».

La violence et l’horreur accompagnent nos héros tout le long de leur voyage, cette sauvagerie est un élément clé de la prise de conscience du lecteur. Elle nous permet non pas de comprendre, car cela est impossible de comprendre de telles atrocités, mais d’avoir un aperçu de ce que ces gens subissent. Elle est un électrochoc, nous plongeant dans ce que vécurent, vivent et vivront des centaines de milliers de gens.

Cette violence ne quittera pas nos héros du livre, elle est le fil directeur de leurs aventures.

L’arrivée en France est à la fois un émerveillement mais aussi un contrecoup brutal. Vient le temps de trouver une cachette, dormir dans un entrepôt, dans un trou au milieu d’une forêt Parisienne…

Il s’agit maintenant pour nos héros de survivre, ne pas se faire remarquer tout en travaillant pour de véritables négriers des temps modernes.

Chancal est un vendeur de roses, Virgil et Assan eux, travaillent sur le chantier d’un immeuble, dont les premiers étages sont gérés par des sociétés de constructions normales, et les derniers par toute une organisation qui travaille au noir, dans des conditions déplorables. Cette image est forte et symbolique, elle nous montre que la misère et l’horreur sont à deux pas de chez nous, et non pas à des milliers de kilomètres comme on le pense. Les ouvriers des étages inférieurs ont un syndicat, une sécurité du travail, des pauses, un salaire correct, tandis que nos héros risquent leur vie tous les jours pour « du huit francs la journée ».

Cette promiscuité entre la misère des migrants et les Français est présente tout le roman, elle représente à la fois l’ignorance et l’incompréhension des habitants, qui à cette époque, ne se doutent pas encore que ces migrants étaient seulement les pionniers d’une longue et douloureuse entreprise. « Désormais, on arrivait clandestinement du monde entier pour chercher du travail. Aucune frontière, aucune mer ne se montrait assez menaçante pour décourager les candidats à l’exil. Les années quatre-vingt seraient les années de l’immigration du désespoir ; une bonne part du monde préférant mourir noyée que de mourir de faim. »

Le roman est une « leçon » d’humanité, et en même temps une explication parmi d’autre sur l’immigration actuelle et les problèmes qui y sont liés. Pour l’auteur, cette immigration laissée à l’abandon , sans aucune solidarité, est une des conséquences du Djihadisme et les autres formes d’extrémisme du Moyen-Orient et d’Afrique: « En Afghanistan, en Somalie, ils décapitaient et lapidaient déjà, invoquant une religion que lui ne reconnaissait plus. Partout, ces attardés réclamaient le sang du saint Coran, s’essuyant les pieds sur la fois de millions de musulmans comme lui, les désignant du doigt aux frontières, aux aéroports, aux entretiens d’embauche. Des bataillons que personne ne voyait grossir. Bientôt, ils lèveraient des armées, revendiqueraient des califats, piétineraient les dictateurs, recruteraient jusqu’en Normandie, braderaient la Shahada (profession de foi de l’islam) en convertissant les paumés et les petits caïds pour grossir leurs rangs ».

 

Ces personnages n’existent pas, mais sont le résultat d’un assemblage de « petits bouts d’échoués »qu’il a croisés en Afghanistan, en Somalie,à Dacca… »

Vous pouvez aller lire le billet de Sandrion, nous l’avons lu la même semaine. Nous avons fait une lecture commune sans le savoir. Et elle a été aussi marquée que nous.

 

« Les yeux qui ont vu des montagnes

n’auront jamais peur des collines »

Proverbe Africain

 

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28 réflexions au sujet de « Les Echoués »

  1. Superbe billet ! Pas manque de temps, le mien est plus court mais j’aurais pu recopier une dizaine de citations. Je pense que ce sera un livre phare de l’année, pour moi. Je mets tout de suite en lien !

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    1. Tu as raison Sandrion, je pense comme toi que c’est un livre phare. Heureusement que les blogs sont là pour faire découvrir de tels romans. Ce titre est un incontournable pour connaître ce que vivent les réfugiés. Mon fils devait faire un mini mémoire en faisant un lien avec soit un roman, un film, ..et un cours de géographie à la fac. Il est le seul étudiant à avoir choisi ce titre. J’espère que les profs vont apprécier. J’ai hâte de voir le résultat! En plus il a pas mal parlé avec l’auteur par facebook interposé. Il a répondu à toutes ses questions.
      Je vais faire aussi le lien avec ta lecture pratiquement commune. Jamais 2 sans 3 🙂

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      1. c’est génial que ton fils ait pu parler à l’auteur !! et je suis sûre que les profs apprécieront. Tu me raconteras !
        Oui, programmons-nous une autre lecture commune, c’est chouette !

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    1. Je ne sais pas si tu vas le lire. Mais je te le conseille même si je sais que c’est le genre de lectures que tu évites. C’est terrible, éprouvant et aussi lumineux. L’auteur à dit qu’il avait exagéré le côté entraide. Que dans la réalité elle est beaucoup moins présente.

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  2. On sent ta passion et ta sensibilité. Je ne lis pas ce type de livre, j’ai du mal avec la violence et les souffrances physiques racontées. Et puis, j’ai un peu l’impression d’écouter le journal avec ces livres-là. J’ai probablement tort, on a besoin de témoignages de ce style et de se confronter au réel, même sous le prisme de personnages de romans. Belle chronique Louise ! Allez prochain livre, un livre gai et optimiste ?? 😀 😀 😀

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    1. Dans ce roman il y a beaucoup de souffrance; c’est difficile à lire, c’est plus fort que le journal car les personnages deviennent des amis.
      Et tu as des conseils de livres gais, optimistes, pour voir la vie en rose et qui ne soient pas « cucul la praline »?

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    1. Merci, sans les blogs je n’aurais pas lu ce roman, et sans TON BLOG, mon fils n’aurait pas choisi ce thème. Puisque c’est sur ton blog que je suis venue chercher une idée de roman traitant de problèmes sociaux, géographiques, historiques…en lien avec l’actualité.

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  3. Une lecture extrêmement dure apparemment, je ne suis pas sûre d’avoir le mental qu’il faut pour l’entamer en ce moment… Mais comme je le disais à Sandrion, on ne s’imagine pas ce que vivent ces hommes, ces femmes et ces enfants. C’est épouvantable et ça se passe maintenant, en 2016 :0( Le monde a si peu évolué… C’est terrible ( ton fils en a fait un très beau billet)

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    1. Merci L’Or, j’ai beaucoup aimé partager cette lecture avec mon fils, je crois qu’il a vraiment pris conscience de la souffrance des gens en le lisant (même évidemment s’il savait que c’était très difficile pour tous les clandestins).

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    1. C’est exactement ça. Tous ces « échoués » sont des gens comme nous, ils veulent la même chose que nous, vivre en paix, avec leur famille, avoir de quoi vivre, ils ne demandent pas des choses incroyables. Le plus épouvantable c’est que ce sont des Hommes qui sont responsables de ce chaos.

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  4. J’ai vu de belles chroniques sur ce livre mais je restais prudente, pas trop envie de m’y coller mais la façon dont vous en parlez, toi, ton fils, Sandrion est si émouvante que je pense qu’il va finir dans ma PAL ! Un sujet douloureux que nous chassons d’un revers de main tellement il s’est « banalisé » alors que des milliers d’hommes meurent tous les jours presque sous nos yeux … c’est horrible ! Mais il faut regarder les choses frontalement de temps en temps… Bravo à ton fiston, quelle classe ! Il a de qui tenir ! 😉

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    1. Merci Aspho
      Il y a eu sur la blogo beaucoup d’articles très forts et émouvants écrits sur ce roman.
      Dans la démarche de fiston ce qui a été très intéressant c’est le contact avec l’auteur qui a pris le temps de répondre à ses questions.
      C’est un roman à lire.

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  5. Vos deux billets avec Sandrion sont vraiment très beaux et une belle ode à la fiction. Je suis particulièrement touchée dans le tien, sur le père et sa fille, l’extrait que tu as mis me donne la chair de poule. Je lirai ce livre plus tard, car il me fait peur, mais vraiment, votre émotion est contagieuse quand on lit vos billets (surtout en binôme avec ton fils).

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    1. Tous ces personnages sont touchants et inoubliables, mais fiston a été marqué par l’histoire de cette jeune Somalienne, sa vie passée était un cauchemar. C’est une fiction mais où tout est réel et certainement bien en dessous du quotidien de ces personnes.

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