En finir avec Eddy Bellegueule

 

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Le roman En finir avec Eddy Bellegeule a été la révélation littéraire de l’année 2014. Non mais on est sérieux là???

Dans ce récit autobiographique Edouard louis raconte ses années d’enfance et d’adolescence au fin fond de la Picardie. Il grandit dans une famille pauvre, le père alcoolique, ne peut plus travailler depuis qu’il s’est bousillé le dos à l’usine. La mère avec un travail ingrat, « laver le cul des vieux, des vieux en train de mourir » gagne péniblement l’argent du foyer. Nous sommes dans le Germinal des temps modernes. Bienvenue chez les prolos!!! Tous des dégénérés??

Eddy Bellegueule a la double peine, il est homosexuel et il a l’envie de s’en sortir. Il veut faire des études pour ne pas travailler à l’usine comme son père, son frère, ses cousins, ses voisins…. Il est différent, et dans ce milieu social la différence est très mal perçue. Pendant de longues années il va subir les moqueries des autres enfants, mais aussi des membres de sa famille; « Tu peux pas arrêter avec tes grands gestes de folle..pédé, enculé… Bouffe les mollards pédale… »  Il sera quotidiennement humilié, frappé.

Dans un langage cru, l’auteur décrit la vie des laissés pour compte. Dans cette bourgade où le chômage sévit, les gens sont tous alcooliques dès le plus jeune âge, racistes, homophobes, machistes, incultes, vulgaires. C’est le règne de la violence.

Je n’ai pas aimé ce roman pour plusieurs raisons.

Dès les premières pages j’ai eu une sensation de déjà vu, déjà lu. Annie Ernaux dans ses romans La Place, La Honte raconte aussi, mais avec beaucoup plus de talent  la France d’en bas. Ce n’est donc pas quelque chose de nouveau comme je l’ai lu un peu partout.

En littérature tout est permis, mais à partir du moment où il met en scène des gens qui existent vraiment, sa famille, ses amis, ses voisins on peut se demander quelle est la part de vérité dans son récit?

J’ai la sensation d’une démarche malhonnête, il utilise le langage des siens pour créer une oeuvre littéraire. Je trouve qu’il y a double trahison.Quelque part il vole leurs mots pour mieux les accuser, les mettre au pilori!!! Ces gens qu’il décrit n’ont pas de droit de réponse.

J’ai aussi l’impression qu’il travesti la réalité pour la rendre encore plus glauque. Manque t-il de distance, de détachement? Par exemple lorsqu’il raconte la fausse couche de sa mère, il n’utilise jamais le mot de fausse couche et laisse croire aux lecteurs que sa mère a accouché dans les toilettes. « Avant de me mettre au monde elle avait perdu un enfant. Elle ne s’y attendait pas, elle avait perdu l’enfant dans les toilettes, c’est arrivé comme ça, sans prévenir.. » Il nous manipule, en nous donnant à lire que sa version tronquée des faits.  » Je pensais que j’étais constipée, ça me faisait mal au ventre comme quand je suis constipée. J’ai couru jusque dans les chiottes, et c’est là que j’ai entendu le bruit, le plouf. Quand j’ai regardé, j’ai vu le gosse, alors je savais pas quoi faire, j’ai eu peur, et, comme une conne, j’ai tiré la chasse d’eau, je ne savais pas quoi faire moi. Le gosse il voulait pas partir donc j’ai pris la brosse à chiotte pour le faire dégager en même temps que je tirais la chasse d’eau. » Cette description est insoutenable, car nous les lecteurs, nous voyons un bébé qu’une mère essaie de faire disparaître dans la cuvette des WC. Alors que cette femme a expulsé un embryon minuscule et non viable. Mais elle n’a pas les mots corrects pour raconter cette chose atroce qu’elle a vécue.

Je me suis ennuyée dans cette lecture, car dans ces 203 pages il y a beaucoup de redits, et finalement aucune surprise, je sais en tournant la page ce qui va se passer.

Je n’ai pas eu d’empathie pour ce personnage, car je trouve qu’il est une enveloppe vide. Je ne comprends pas la démarche de l’auteur Edouard Louis. A-t-il voulu se venger de ces années noires, a-t-il voulu faire « une étude sociologique »  et mettre en avant la misère économique, affective, intellectuelle, sexuelle de cette catégorie sociale.

Je trouve aussi insupportable, le fait d’être spectateur de ces vies, et de ressentir quelque part un mépris pour ces gens. Il nous met dans la peau de juges, sans nous donner  tous les éléments nécessaires pour comprendre. Ils sont tous coupables. La messe est dite, fermons le livre! Heureusement nous n’appartenons pas à ce milieu.

 

Finalement il peut être heureux car il connaît la gloire grâce à ces gens qui l’ont fait souffrir et qu’à son tour il détruit. Chapeau l’artiste!

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4/47

15 réflexions au sujet de « En finir avec Eddy Bellegueule »

    1. C’est ce qui me dérange où commence la fiction? Pour moi c’est de la malhonnêteté intellectuelle. J’ai l’impression que dans son second roman il utilise le même procédé. Le même roman totalement fictif ne m’aurait pas dérangé.

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  1. Je ne l’ai pas lu , car je craignais tout ce que tu racontes là , forme et fond !
    Quand je voyais les bobos ( dont je suis, soyons clairs 😉 s’ébaudir car ils semblaient découvrir la France d’en bas, j’étais écœurée et tenue à distance du livre.
    Quoi de neuf en effet ? On peut se le demander.
    Les gens ont pris pour un témoignage -et partant, pour argent comptant- ce que l’auteur affirme être re travaillé en fiction -et ainsi mis en perspective – : au bout du compte, cette double focale embrouille tout, c’est ce que tu sembles dire et qui me paraît pertinent
    Ton coup de gueule sur l’aspect littéraire fait du bien , il y a eu un côté moutonnier dans la réception du livre, vrai « coup »d’édition mais peut-être pas grand chose d’autre

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    1. Je pense qu’il s’est beaucoup inspiré des écrits de Annie Ernaux, surtout lorsqu’il parle de la honte à tout bout de champ. Et les passages les plus forts, les plus dramatiques sont quand il fait parler les personnages, il utilise leurs expressions, leurs tournures de phrases, alors oui c’est grossier; mais c’est aussi sorti du contexte..
      Comme toi ce qui m’agace c’est que les gens semblent découvrir le quart monde et encore ce n’est pas exact socialement il n’est pas issu du quart monde, il a une maison, ses parents travaillent ou touchent le chômage, ils ont 1700 euros pour vivre, c’est certainement très difficile, mais ce n’est pas non plus la misère noire.
      S’il veut dénoncer un univers violent, homophobe, raciste il s’y prend vraiment mal car on ne sait pas ce qui est vrai, ce qui est faux. Je pense qu’il a voulu faire le buzz.

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  2. Je suis bien moins catégorique et vindicative concernant ce titre. (Ceci dit, je n’ai jamais pris le temps de le chroniquer.)

    Ce qu’il raconte paraît excessif dans le glauque et le sordide mais j’ai suffisamment dû gérer de cas dans mon boulot où nous étions bien proches hélas, de ce qui est dit là.
    Le problème et c’est qui fait tant réagir, reste l’ambiguïté de la question du genre du texte. Fiction? Autofiction? Récit autobiographique? Je n’ai pas besoin d’avoir une réponse claire là-dessus en tant que lectrice lambda, mais j’imagine combien ce livre a pu être dévastateur parmi ses proches. Mais une fois de plus, personne en dehors d’un cercle très très restreint n’a les véritables clés de cette histoire. D’où mon avis peut-être plus nuancé je ne sais pas…

    Après, Ernaux a certes fait cela mais dans un tout autre style (subtilement ou de manière plus fade selon les sensibilités… Là encore à chacun d’y trouver son compte.) J’ai lu et apprécié l’une comme l’autre je crois quand j’y pense… Edouard Louis apporte à mon sens une autre dimension à ce genre de récit et de regard posé sur la famille. Plus crue, plus propice au malaise.

    Là où l’on se rejoindra sera probablement la question de la révélation littéraire. Je ne vois pas là un grand stylisticien ni un nouveau Rimbaud. L’idée de croiser les paroles des siens et ses propres mots me paraît intéressante, sans pour autant révéler ou mettre en avant chez lui une singularité d’écriture impérissable. Après, tout le monde s’est extasié (dans un tout autre style je te l’accorde) sur l’écriture de Joël Dicker dont le talent m’a pourtant terriblement échappé alors bon…

    Tu l’auras compris, si j’en ai l’occasion je lirai son nouveau livre. Pour voir qui est Edouard Louis après Eddy Bellegueule. Quitte à le trouver redondant et à en rester là, définitivement. 😉

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    1. Je suis d’accord avec toi, ce qu’il décrit ça existe, ce n’est pas une révélation. Et toutes les personnes travaillant avec du public (enseignant, personnels soignants) sont confrontés à ce genre de personnes. Le langage utilisé ça doit être le langage de son entourage, l’alcoolisme doit aussi être présent, ainsi que la télé qui braille à longueur de temps, l’école qui n’est pas valorisée… il a quand même fait des études et ses parents étaient fiers de lui.

      Moi je vois ce type un peu comme « un vampire », je ferai partie de ces relations je me méfierais, le risque de finir en livre est important.

      Dans son livre on a l’impression que c’est l’ensemble des gens du Nord qui sont comme ça, des culs terreux…
      Il n’avait pas assez de distance dans son roman et à partir du moment où il trafique la réalité on peut se dire que tout est trafiqué.

      L’engouement du public des gens bien pensant aussi ça me dérange, je trouve que cela accentue encore plus le gouffre entre ces gens et les autres. Ce qui ressort c’est une forme de grand mépris.

      Quand à l’écrivain Joël Dicker il m’a carrément tuée, je m’en suis toujours pas remise!! je comprends toujours pas la pléthore d’avis élogieux!!L’histoire est tout simplement nulle, je l’ai terminée mais qu’est ce que j’ai souffert 🙂

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  3. Ce roman a divisé. Personnellement je ne lis pas ce genre de récits. Le glauque et la violence j’ai du mal, je suis une petite nature. Son deuxième livre est parait-il encore plus gratiné.
    Je n’ai pas d’avis mais je me demande pourquoi tu lis ce genre de livre en toute connaissance de cause et surtout, si tu t’ennuies pourquoi aller au bout ?? Peut-être pour essayer de voir pourquoi un tel retentissement littéraire avec ce roman ??

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    1. Moi j’aime ça les histoires violentes, alors je ne sais pas si c’est normal ou pas… je m’ennuies quand c’est fleur bleue, romantique.
      Il y a avec ce roman peut-être une fascination malsaine pour ce qu’il raconte, ces gens; est-ce que de lire ça, ça nous rassure, on peut se dire ouf on est pas de leur milieu.
      Arrivée à un moment je me suis ennuyée car il n’apportait rien de
      plus et se répétait beaucoup. Je crois qu’il a une telle haine et honte pour le milieu social dont il est issu qu’il a forcé le trait, jusqu’à la caricature.
      Des gens comme ça j’en connais, ce n’est pas spécifique à la Picardie, il en a en ville, à la campagne et même j’ai eu des voisins diplômés (bac +) qui élevaientt leurs enfants dans cette ambiance, même langage… mais ils n’étaient pas qu’eux ça. Lui sa famille n’est que ça,

      En plus j’ai du mal à fermer un livre alors que je ne l’ai pas fini, j’ai peur de passer à côté de quelque chose, de ne pas lui donner toute sa chance.
      Voilà Monsieur 🙂

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  4. Moi je l’ai entendu soutenir que tout était vrai et que seul le choix de son éditeur fait qu’il est dans la fiction. Et aussi, dit-il maintenant, le fait que mettre une histoire en mots revient à en faire une fiction. Dans ce cas, tout essai est mis en mots et devient fiction.
    J’a détesté ce roman. Je ne relirai pas cet auteur qui en plus, quand on l’écoute maintenant, semble n’avoir aucun recul sur ce qu’il écrit.

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  5. Eh bien toi quand tu n’aimes pas… Ca se voit dès la première ligne !
    Je ne sais si j’ai envie de le lire… Donc je pense que j’éviterai pour le moment et me concentrerai sur les livres qui me font vraiment envie !

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